Une journée d'élection au Canada
Observation et réflexion sur la politique canadienne et française
L'averse ayant laissé place à quelques rayons de soleil, les votants continuent de se diriger vers leur bureau de vote. En ce lundi 26 juin, les Torontois sont invités à se présenter aux urnes, pour désigner le remplaçant de John Tory. Ce jour est alors une bonne occasion de faire appel à mon intérêt pour la politique, et m'intéresser au déroulement des élections de ce côté de l'Atlantique.
Outre le choix du jour de vote, le bureau de vote où je me rends est une des différences les plus marquantes avec le processus électoral hexagonal. C'est dans une église anglicane que Josh Matlow dépose son vote. Ce qui serait impossible en France.
Élu conseiller municipal depuis 2010, c'est la première fois que l'ex-comédien vise la mairie. Diplômé de sciences politiques, Josh Matlow me confie avoir été «fatigué d'attendre que les politiques fassent les bonnes actions».
Dans sa jeunesse, il s'est intéressé aux questions environnementales, et de justice sociale. Ce qui l'a amené à s'engager directement par le biais de l'activisme, avant de décider de se lancer au niveau politique. Les méthodes de l'activisme influençant toujours sa vision du monde. Josh Matlow m'explique ne pas voir cet engagement comme une nouvelle carrière.
«Je suis entré en politique parce que je veux me battre pour les enjeux d'aujourd'hui», explique-t-il. Existe-t-il meilleure ambition que de vouloir quitter ce monde «dans un meilleur état» qu'il était à notre arrivée? À vous de voir.
Lors des dernières élections municipales, moins de 30% des inscrits s'étaient mobilisés. Le désintérêt pour la politique n'est donc pas réservé au vieux continent. Josh Matlow en a bien conscience. La situation est même «de mal en pis chaque année». «Les gens ne votent plus, et, en fin de compte, ils ne croient plus ce qui est dit», affirme-t-il.
Problèmes convergeant, raisons similaires? Il semblerait. Lors de notre discussion, Josh Matlow critique le grand nombre de promesses creuses des candidats, «prêts à dire n'importe quoi, pour être élu». Sa campagne suivait une stratégie plus claire, avec des propositions chiffrées et expliquées.
Le système électoral joue également un rôle. Pour ces municipales, et comme la plupart des élections sur le continent Nord-Américain, celui qui obtient le plus grand nombre de voix rafle la mise. Nul besoin d'atteindre les 50% des votants. Pour le candidat, il faudrait mettre en place un système de vote par ordre de priorité. Chacun y classerait les différents candidats, mais aussi les différentes promesses. Ainsi, cela amènerait un engagement plus conséquent des citoyens, et une plus grande représentativité des intérêts de la population.
Les raisins de la colère
Notre échange a également été l'occasion d'aborder la situation française. Bien qu'il me dise suivre «de loin» la politique d'outre-Atlantique, il ne manque pas de souligner des débats «de plus en plus polarisés». Montrant du doigt une certaine partie de l'échiquier politique n'ayant pas de remords à mettre tous les problèmes de la France sur le dos de certaines catégories de la population, les immigrants notamment, Josh Matlow souligne que ces «tactiques» sont également appliquées ici.
À Toronto, certains n'hésitent pas à «blâmer les sans-abri, les personnes dépendantes», sans chercher les véritables raisons derrière ces situations. Des stratégies «pitoyables, honteuses, cyniques», poussant des personnes «plus raisonnables» à renoncer à la politique. À la fin, cela ne sert uniquement à «alimenter les flammes de la colère et de la division».
Comme en France, les sondages sont omniprésents ici. Il semblerait néanmoins qu'ils sont quelque peu moins contrôlés. Leur légitimation par la grande majorité des médias contribue à faire courir l'idée qu'ils pourraient être «scientifiques ou réels». Ce n'est absolument pas le cas, et il serait sans doute temps de réellement mettre terme à ces pratiques, ou du moins, à beaucoup mieux les contrôler. Des deux côtés de l'océan.
C'est dans un bar décoré à l'anglaise que se termine la journée. De nombreux supporteurs, militants et bénévoles attendent avec impatience les résultats. Cette fois, un plus grand nombre d'électeurs se sont mobilisés. Mais comme en France, le taux de participation reste bien bas: seulement 38% des inscrits ont voté en ce dernier lundi de juin.
Au fur et à mesure que les résultats tombent, l'ambiance de l'établissement imite celle d'un match de baseball. Chaque petite augmentation est célébrée, et les différents reculs sont écartés. Mais très vite, un duel se dessine.
À ma gauche, Olivia Chow, ancienne membre de la Chambre des communes, et affiliée au Nouveau Parti démocratique (NPD). Un parti de centre gauche, social-démocrate, proche d'un Parti socialiste français.
À ma droite, Ana Bailão, mairesse adjointe depuis 2017. Proche de la droite française, elle bénéficiait du soutien du maire sortant, John Tory.
Ce serait mentir que de dire que les supporteurs de Josh Matlow ne se retrouvent pas plus chez Olivia Chow. Ainsi, lorsque, après avoir été menée pendant de longues minutes, la candidate du NPD prit l'avantage, c'est tout le bar qui célébra. La victoire d'Olivia Chow fut annoncée aux alentours de 9h, une heure après la fermeture des bureaux de vote.
Quelques instants plus tard, sous les acclamations de la foule, Josh Matlow fit son apparition dans le bar. Avant de prononcer son discours, le candidat prit le temps de faire le tour de la salle, pour prendre dans ses bras chacune des personnes présente en cette soirée. Une ambiance des plus chaleureuses, de quoi donner le sourire à n'importe qui.
«C'est un nouveau chapitre qui commence», annonçait avec ferveur le candidat, certes battu, mais pas défait. Son discours a été l'occasion de remercier l'abnégation de toute son équipe, mais aussi le moment parfait pour affirmer que ce n'était que le début. Lui qui reste membre du conseil municipal a alors déclaré qu'il ferait tout pour faire entendre sa voix, et pour contribuer à améliorer la ville. «Il n'y a pas de problème que l'on ne peut pas régler», a-t-il scandé.
«Il suffit que l'on travaille ensemble, avec conviction, détermination, et honnêteté».
Avant de clore la soirée, j'ai eu l'occasion de discuter une dernière fois avec Josh Matlow. Un échange en anglais, mais aussi en français. Il m'a assuré de son intention de «travailler en collaboration et de manière constructive» avec la nouvelle mairesse. Les prochaines élections municipales sont prévues pour 2026. D'ici-là, il a «beaucoup de travail», mais rien n'est décidé concernant une potentielle deuxième tentative.
De mon côté également, je ne suis pas certain de ce que je ferai dans trois ans. Peut-être serai-je de retour à Toronto? Ce que je sais pour l'instant, c'est que j'ai beaucoup de travail jusque-là.
-Dorian Vidal