Le soleil venait tout juste de se lever alors que je sortais pour aller courir. Six heures passées de quelques minutes, l'étoile semblait peiner, comme moi, à sortir de son sommeil. En ce mardi du mois de mai, le printemps est encore un peu timide. Selon les prévisions météorologiques, tout ça devrait se réchauffer brusquement dans les prochains jours. Ce n'est pas quelque chose qui me fait envie plus que cela, moi qui ai tendance à préférer l'hiver à l'été.
Aujourd'hui cependant, l'air est étrange. Quelque chose me prend à la gorge à peine la porte d'entrée ouverte. Pis encore, le soleil semble avoir décidé de changer sa garde-robe. La lumière rosée du matin n'est pas venue me sortir du sommeil. Cette fois, sa teinture mélangeait l'orange au rouge...
En plus de ce cercle rouge en point de mire, une étrange odeur me chatouille les narines. Une odeur rappelant les effluves émanant d'un barbecue. Mais qui ferait un barbecue à six heures du matin? Étrange, et inquiétant, ce réveil. Je décide tout de même de m'élancer, pensant qu'une petite course matinale ne pouvait pas me faire de mal.
Le souffle coupé, toussant, je rentre dans ma chambre après une bonne demi-heure de running. Ce n'est qu'une fois le petit déjeuner avalé que je fais quelques recherches pour éclaircir ce mystère matinal. Quand les premières réponses apparaissent, je me demande comment n'ai-je pas fait le lien. Il est vrai que depuis la fin officielle de l'hiver, l'ouest canadien est aux prises d'importants feux de forêt. Des incendies sans fin, que rien ne semblait, et ne semble toujours, pouvoir arrêter. Le soleil torontois essayait alors de passer outre les fumées toxiques provoquées par ces feux, d'où cette couleur rougeâtre. Je n'ai pas couru depuis.
précédemment dans Fly Me To The North
Si cet événement passa quelque peu inaperçu, c'est au début du mois de juin que les fumées attirèrent l'attention du plus grand nombre. Quand New York et une grande partie du nord-est étasunien subissaient à leur tour ces nuages de fumée. Le 6 juin, les images d'un New York style Blade Runner 2049 faisaient le tour du monde. Mais ce n'était pas la seule ville touchée par ce phénomène.
L’atmosphère torontoise n'était peut-être pas autant photogénique, mais la qualité de l'air était bien aussi mauvaise que celle de la ville étasunienne. Une odeur de brûlé, une impression de flou à l'horizon... impossible de sortir sereinement pendant plusieurs jours. Ce phénomène n'est bien sûr pas inédit pour le reste du monde, mais c'est sans doute la première fois que le continent nord-américain se retrouve frappé par de telles conditions. Le nord-est américain n'est que très rarement touché par les incendies, c'est plus souvent le cas du sud-ouest, en Californie notamment.
Cette année, les feux préfèrent les forêts canadiennes, de la Colombie-Britannique au Québec. Plus de 13,5 millions d'hectares n'ont pas pu résister aux flammes. L'équivalent d'un cinquième du territoire français. Un record: en moyenne, c'est seulement 1,4 million d'hectares qui partent en fumée annuellement au Canada.
Depuis que l'on nous parle des effets des dérèglements climatiques, on nous dit qu'il nous reste du temps, que les premières catastrophes attendront. Que nenni! Cela fait maintenant quelques années que les événements catastrophiques s'enchaînent. Depuis l'ouragan Matthew en 2016, nombreuses sont les piqures de rappel. L'été 2022 reste forcément dans les mémoires de chacun, alors que l'année 2023 sera sans doute l'année la plus chaude jamais enregistrée. La France est en majorité épargnée par les fortes chaleurs estivales cette année, mais il n'y a pas que l'hexagone dans la vie. Le Canada, l'Italie, le Portugal, la Grèce, la Chine, les États-Unis... les effets sont de plus en plus directs, puissants, et globaux.
À titre personnel, me voilà pour la première fois confronté aux conséquences des dérèglements du climat terrestre. Rien de rassurant, et c'est encore moins quelque chose qui donne envie de voir la suite. Cependant, tout cela aura eu comme bénéfice de booster mon envie de défendre les causes environnementales, de faire de mon possible pour limiter mon impact, tout en partageant cela au plus grand nombre. On est tous concernés.
Avec la montée en puissance de ce genre d'événements, l'on penserait que les dirigeants de ce monde comprendraient enfin l'urgence de la situation. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas écrire! Le regard des «politiques» reste plus intéressé par l'économie que l'environnement. Il suffit de regarder le plan de Biden. Ambitieux sur le papier, mais immédiatement contredit par son autorisation d'ouvrir un projet pétrolier en Alaska. Au nord de la frontière, l'Alberta, particulièrement touchée par les incendies, refuse encore de faire des liens entre les terribles feux et l'urgence climatique. À vrai dire, l'économie albertienne repose sur ses fonds pétroliers...
Super-bassines, jets privés, taxe sur le kérosène... la France n'a pas tellement de quoi donner des leçons. Depuis Toronto, j'ai cependant pu suivre ce sujet avec ces différentes approches. On comprend assez rapidement que tout seul, un État ne peut pas grand-chose. Sur le vieux continent, c'est à ça que devrait servir l'Union Européenne. À un plus haut niveau, l'ONU aurait un rôle primordial à jouer.
Le problème est que, dans la réalité, chaque pays joue de ses propres intérêts. Toute vision élargie semble prohibée. Alors, avant que l'internationalisme devienne la règle, il risque d'y avoir de la marge. Ne perdons tout de même pas espoir. Le séjour à Toronto m'a permis de prendre mesure des risques encourus par l'humanité, mais surtout, de la nécessité de garder le cap.
Chacun d'entre nous a, entre ses mains, un immense pouvoir. On le dit pas assez, mais chaque geste compte. À nous de faire attention à ce que nous mangeons, à ne pas trop consommer, à limiter et trier nos déchets, et surtout, à prendre soin du vivant qui nous entoure toutes et tous, quelque que soient ses formes. Mener par l'exemple, plutôt que souffrir par attente.
-Dorian Vidal