Modernité rime avec précipitation, et impatience. Une boulimie institutionnelle qui pousse à toujours produire plus. Il ne faudrait pas perdre de temps. À quoi bon? Jean de La Fontaine l'écrivait déjà. Pourquoi courir après le temps, quand on peut profiter de chaque instant?
Dans cette société des plus productivistes, rares sont les refuges prônant la lenteur. Les réseaux sociaux donnent l'illusion de connexions immédiates, les applications de rencontre des relations sans efforts... Des leurres, auxquels résister est de plus en plus délicat.
Alors, il faudrait savourer les secondes, plutôt que de se hâter à chaque instant. Par mes écrits, je vise à vous apporter cette pause, bien nécessaire aujourd'hui. Une mise en silence du passage du temps que l'on retrouve également dans certains secteurs.
S'il y a bien un monde où la précipitation est l'ennemi numéro un, il s'agit de celui entourant le baseball. Ce sport, directement inspiré du cricket britannique, occupe bien des soirées sur le continent Nord-Américain. Oubliez le rythme effréné des rencontres de basketball, le tempo sans relâche des confrontations du monde de l'ovalie, ou encore les sursauts de match de football... Au baseball, il faut savoir prendre son temps.
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Dans les tribunes, il y a une forme d'effervescence. Il ne faut surtout pas s'arrêter aux premières impressions. Je vous l'accorde, ce sport peut sembler quelque peu soporifique. Mais cette discipline est sans doute l'une des plus stratégiques, et fascinantes.
Chaque moment est important. À tout instant, la situation peut être totalement chamboulée. Chaque balle sortant du gant du lanceur doit être analysée par le frappeur, et ce, en l'espace de quelques millisecondes. Dans ce sport, tout est question de contrôle de soi, de maîtrise du temps, et d'approche mesurée.
Depuis la mise en place de nouvelles règles en avril 2023, les rencontres sont plus courtes. En moyenne, une demi-heure de moins que par le passé. Les confrontations peuvent aujourd'hui s'étendre pendant plus de deux heures et demie. Une heure de plus qu'une rencontre de football, mais quasiment autant que la durée des matchs NBA (temps morts et pauses publicitaires comprises).
Hors contexte, choisir de passer plus de 160 minutes dans un stade, ou devant sa télévision, peut donner le vertige. Ce sport permet tout de même de respirer, offrant une bulle atemporelle. Quelque chose de bien nécessaire de nos jours, dans un monde des plus incertains.
La concentration contre la précipitation
Sur le monticule, le lanceur mélange précision et vélocité pour tenter de piéger les batteurs. Une tâche complexe, surtout quand les meilleurs d'entre eux arrivent sur le marbre. Ces derniers doivent faire preuve de calme, mais également de justesse et de force. Une fois sur les bases, les plus vifs et rapides peuvent tenter de voler la 2e base, la 3e (et même de toucher le marbre, pour les plus courageux). Pour cela, il faut battre la vigilance du receveur...
L'apparente quiétude des moments d'attente entre lancers, quand tous les regards sont tournés vers le lanceur, peut vite être bouleversée. Mué en coureur, un frappeur observe la routine du pitcher, et cherche le moment idéal pour se précipiter vers la base suivante. Dans le stade, un bref moment de silence s'observe lors du contact entre batte et balle. Des yeux, chacun suit la trajectoire de l'objet volant, propulsé à plus de 150 kilomètres par heure.
Le batteur peut laisser tomber sa batte, mais cette fois, il ne faut pas laisser passer les secondes. À pleine vitesse, il tente de rejoindre la première base, en espérant que sa balle aille le plus loin possible, et qu'elle trompe les défenseurs.
Si les coups de circuit électrisent souvent les foules, la défense* entraîne également l'admiration des supporters. Ces derniers ne manquent pas d'applaudir les retraits sur trois prises effectués par le lanceur, tout comme les doubles jeux réalisés par la première ligne. Les trois voltigeurs, en dernière ligne, provoquent de nombreuses fois l'enthousiasme, par leurs prouesses athlétiques d'un haut niveau.
De mon côté, ma passion pour les Blue Jays de Toronto a été amplifiée par mon séjour de l'autre côté de l'Atlantique. Il m'a été possible d'assister à trois rencontres, bien assis dans les tribunes du Rogers Centre. Depuis mon retour, j'ai plaisir à suivre les matchs des Blue Jays, en différé ou en direct - pour ceux se déroulant à des heures accessibles en France. Si la saison est plus compliquée que prévue, le fait d’assister à ces rencontres me replonge dans l'ambiance du stade. La rythmique bien particulière du sport offre une oasis, semblant hors du temps.
Prendre le temps, pour savourer, ou profiter de chaque seconde, tout cela a du bon. Au baseball, comme dans la vie quotidienne, mieux vaut préférer lenteur et prudence à la précipitation et à l'impatience.
*En position défensive, le duo lanceur/receveur se fait face. Autour d'eux, trois joueurs défendent chacun une base, accompagnés de l'arrêt-court entre la deuxième et troisième base. Les trois voltigeurs se répartissent le fond du terrain.
-Dorian Vidal